
Agrégé d’histoire et Docteur en histoire médiévale, Fabien Lévy enseigne en classes préparatoires et est chercheur au laboratoire LLESTI de l’Université de Savoie Mont Blanc.
- Les guerres d’Italie, un conflit européen, en collaboration avec D. Le Für, Passés Composés, Paris, 2022.
- La monarchie et la commune : les relations entre Gênes et la France, 1396-1512, Presses de l’Ecole Française de Rome, Rome, 2014.

Vous enseignez classes préparatoires et vos travaux de recherche portent sur la Méditerranée médiévale.
1. Comment avez-vous mis en œuvre les attendus du programme ?
Il s’agit de donner une compréhension globale des relations entre musulmans, Byzantins et latins, qui dépasse l’idée de conflit et surtout de croisade et de jihad. Les croisades et le jihad sont presque anecdotiques au regard des préoccupations des populations de l’époque et des échanges qui avaient lieu.
Pour les musulmans, notamment, les croisades ne concernent finalement qu’une part minime de leurs territoires, qui s’étend de l’Atlantique jusqu’en Inde, et ne revêtent pas une importance fondamentale. L’invasion turque ou mongole aura été bien plus impactante. D’ailleurs le jihad qui se redéveloppe au XIIe siècle ne survit pas à Saladin, même s’il sera repris par les Ottomans au XVe siècle.
De la même façon, l’idée est de montrer que l’essor des échanges, leur richesse, leur diversité, les modes de cohabitation que ces échanges ont entraînées ont été plus importantes que l’esprit de guerre sainte.
Au final il faut faire comprendre que c’est bien l’imaginaire des croisades et du jihad qui s’est développé, et a pris une place beaucoup plus forte que leur réalité historique, et ce jusqu’à nos jours.
2. Quels documents êtes-vous particulièrement content d’avoir utilisés dans le manuel ?
Deux documents me plaisent particulièrement.
L’un, classique, sur la Trêve de Dieu.
Le concile de Narbonne de 1054 appelle à l’arrêt des combats les jours saints. Ce texte permet de comprendre le lien entre la pacification de l’Occident chrétien et les croisades, et de replacer la guerre sainte dans son contexte global, celui d’une tentative de domestication de la violence par l’Eglise, qu’elle tente de limiter puis parvient à mettre à son service. L’idée est de montrer que la croisade est un mouvement complexe, qui est certes l’expression d’une violence parfois débridée mais qui sert aussi paradoxalement la paix.
La Trêve de Dieu
1] En premier de toutes nos décisions, qui doivent être écrites dans ce manuscrit, nous avertissons et demandons, selon le précepte de Dieu et le nôtre, qu’aucun Chrétien ne tue un autre Chrétien ; car celui qui tue un Chrétien répand, sans doute, le sang du Christ.
2] En second, nous mandons et confirmons que cette trêve de Dieu, qui avait été fixée par nous récemment, et qui semble avoir été rompue actuellement par de méchants hommes, qu’elle soit désormais observée fermement par tous. Donc, nous prions au nom de Dieu et demandons qu’aucun chrétien recherche un autre Chrétien pour quelque méfait du coucher du soleil le mercredi jusqu’au soleil levant du lundi. […]
5] Si quelqu’un tue un homme volontairement ou sciemment lors de cette trêve, on s’en empare, ou prend le château de quiconque ou le détruit, ou s’il a été convaincu de vouloir le faire, qu’il soit placé hors de toute assemblée de chrétiens, qu’il soit condamné à l’exil perpétuel pour toute sa vie.
Assemblée d’évêques, Narbonne,1054, in Ludwig Huberti, Studien zur Rechtsgeschichte der Gottesfrieden und Landfrieden, Ansbach, 1892, p. 317-321.
Voir le document dans le manuel : https://histoire2de.lecrandusavoir.fr/#/lien/31/3/1112
Le second porte sur François d’Assise et l’esprit de mission (image ci-contre)
En effet, on oublie souvent qu’à côté de la violence des croisés d’autres approches se sont aussi développées, qui passaient par la persuasion et le dialogue, même si la violence restait au premier plan.
La fresque, qui montre la rencontre de Saint François avec le sultan al-Kâmil, et le texte qui l’accompagne, soulignent bien l’esprit de mission qui se développe dès la fin du XIIe siècle : ils illustrent un dialogue théologique ouvert entre le missionnaire, le sultan et ses conseillers, passant par une sorte de respect mutuel, ainsi que le changement de mentalité à l’œuvre en Occident. Peu après le voyage de François d’Assise s’ouvriront des chaires d’arabes afin de former de nouveaux missionnaires prêts à partir porter le christianisme dans le monde musulman et au-delà.
Voir le document dans le manuel : https://histoire2de.lecrandusavoir.fr/#/lien/33/6/1579

François d’Assise et le sultan al-Kämil
3. Comment avez-vous traité les Points de passage et d’ouverture au programme ? Qu’est-ce que les fiches Eduscol mettent en avant ?
Le Point de passage et d’ouverture sur la seconde croisade permet d’approcher à la fois les problématiques politiques de l’Occident chrétien et l’aura de Bernard de Clairvaux, que j’ai illustré à travers un texte montrant le saint multipliant les miracles mais conseillant aussi les princes en guerre les uns avec les autres. Il demande aussi une réflexion sur la violence dans le cadre de la guerre sainte, permettant d’utiliser les textes bien connus de Bernard sur la légitimité de la violence au service de Dieu. Enfin il permet une approche de la réalité de la croisade à travers son échec, où le texte sur le siège de Damas souligne bien, derrière les grandes déclarations d’intention, les véritables motifs des croisés, entre rivalités politiques et désir d’enrichissement et de gloire.
Voir le PPO dans le manuel : https://histoire2de.lecrandusavoir.fr/#/lien/24/2
De la même façon les instructions officielles pour le Point de passage et d’ouverture sur Venise demandaient un double traitement, insistant à la fois sur l’expansion commerciale de Venise et les conséquences urbaines et urbanistiques de celle-ci. Le sujet était si vaste que j’ai décidé d’en faire deux études complémentaires, en insistant dans la seconde d’une part bien sûr sur la prise de pouvoir des marchands, mais aussi sur l’influence orientale dans l’art, l’architecture, la vie quotidienne de Venise, en m’appuyant notamment sur une belle exposition organisée conjointement par le MET et l’IMA en 2006, « Venise et l’Orient ».
- Voir le PPO Le Point de passage et d’ouverture Venise domine le commerce méditerranéen dans le manuel : https://histoire2de.lecrandusavoir.fr/#/lien/33/2
- Voir le PPO Le Point de passage et d’ouverture Le patrimoine d’une cité riche et puissante dans le manuel : https://histoire2de.lecrandusavoir.fr/#/lien/33/3